Article • 27 05 2019

Hôtel, d’hébergeur à agent culturel

En pleine réinvention face aux plateformes d’hébergement, les marques hôtelières revoient leur proposition de valeur en y intégrant avec finesse des thèmes et des actes autrefois réservés au monde culturel.

A quand remonte la dernière fois que vous avez choisi un hôtel ?

Sans doute êtes-vous allé sur une agence de tourisme en ligne (OTA) ou un comparateur d’offres d’hébergement.

Vous avez lu les commentaires et regardé les photos des voyageurs plutôt que celles des hôteliers que vous savez retouchées.

Vous avez fait confiance à la performance des notes d’utilisateurs plutôt qu’au nombre d’étoiles.

Vous avez calculé qu’en prenant le petit-déjeuner à l’extérieur, vous pourriez avoir une plus grande chambre… et aussi que le coût du transport pour aller dans ce formidable hôtel pas cher en périphérie allait finalement rendre la note aussi élevée que pour cet autre hôtel du centre-ville…

Si tout cela vous rappelle quelque chose, c’est que le parcours d’achat d’une nuitée s’est considérablement transformé ces dernières années. Au-delà de répéter que vous n’achetez plus une nuit d’hôtel mais une expérience, il s’agit surtout de constater que l’on achète un style de vie avant d’acheter un lit confortable pour une nuit.

Désormais, nous projetons des styles de vie à travers notre perception des hôtels

Dans une étude menée par KPMG, le patron de MOB Hôtel l’exprimait ainsi « Nous installons nos hôtels là où vivent les artistes ». L’hôtel est désormais un élément culturel. Prendre en photo les parties communes d’un hôtel comme la façade d’un musée provoque la même excitation.

D’hébergeur, l’hôtel est devenu un acteur de la vie du quartier. On reconnaît les zones en cours de gentrification dès lors que les premiers hôtels s’y installent. Le constat est le même dans toutes les grandes villes de ce monde, un quartier oublié devient hype dès lors qu’un musée et un hôtel s’y installent. Dans cette dynamique, il est intéressant d’étudier les concepts et/ou les offres d’hôtels pour prendre la température culturelle de l’époque.

• Prenons les hôtels dits « business », ils ont considérablement fait évoluer leur proposition de valeur. On y trouve désormais une composante ludique comme pour signifier qu’un déplacement pro, certes c’est du travail, mais cela peut être aussi l’occasion de s’amuser. (PullmanOur world is your playground, Golden TulipPlaytime Anytime). Cela en dit long sur notre besoin de réinventer notre rapport au travail. Dans le cas de Pullman, notamment à Paris l’hôtel active sa dimension « play » en offrant à ses hôtes une salle de cinéma confidentielle de 19 places, Le Private Cinema, en partenariat avec Mk2.

Les hôtels se sont emparés du nouveau paradigme de notre siècle : le bien-être

Évolution du « bonheur » comme promesse de marque, le bien-être incarne cette sensation agréable du corps et de l’esprit que les marques souhaitent nous vendre. Mais le bien-être est aussi devenu un style de vie. Que ce soit au travers de la nourriture, du sport ou de la décoration, une véritable culture de l’épanouissement s’est construite (Lagom, hygge, sisu, saudade…).

• Pionnier dans les séjours mêlant luxe et bien-être, le Six Senses propose désormais une application co-développée avec un professeur de la Harvard Medical School, pour réduire les effets du jetlag sur les voyageurs (TimeShifter) ainsi que des cures de luminothérapie. Co-développé avec Lighting Science, l’hôtel propose également des chambres équipées d’ampoules s’adaptant aux espaces et aux moments de la journée, la bonne lumière au bon moment. Cela apporte une valeur « santé » à la chambre d’hôtel.

De fait, l’hôtel évolue, et de pied à terre pour profiter d’une destination, il devient lui-même une destination. Les offres sont pléthoriques… les marques rivalisent de créativité pour séduire !

• Par exemple, avec ses offres Digital Detox, Oberoi Hotel propose de se reconnecter avec soi-même en laissant son téléphone reposer dans un coffret.

• À Londres, Hilton Bankside a créé la première suite entièrement Vegan. Des aménités aux matériaux de la chambre tout a été validé par la très sérieuse association britannique Vegan Society. Pas une seule chaise en cuir où s‘asseoir !

L’enjeu pour les hôteliers consiste donc à amortir ses précieux m2 avec des expériences qui vous renforcent dans votre style de vie.

Les marques deviennent agents culturels

• Avec une plateforme de marque autour de la musique, Ibis compte devenir un acteur de l’industrie musicale.

• A Washington, Le Line Hotel a installé dans ses parties communes un studio de radio pour créer des évènements et fournir du contenu culturel à ses hôtes en direct.

Hoxton avec son nouveau concept Flawless Yoga mixant yoga vinyasa et hip-hop propose de « se reconnecter à son corps de manière fun » selon Aurélie Louis-Alexandre (prof de yoga) et Naomi Clément (journaliste musicale).

• « Chainon manquant entre l’hôtellerie et Airbnb » selon son fondateur (Pierre Beckerich), Yooma propose quant à elle des expositions et des résidences d’artistes.

• Enfin, encore plus holistique, le Drawing Hôtel, boutique-hôtel de 48 chambres se présente comme un manifeste artistique en faveur du dessin contemporain. Il fait écho à Drawing Now, le salon du dessin et le Drawing Lab, premier centre d’art privé dédié à la promotion du dessin contemporain. Ici l’écosystème culturel est à son climax.

En somme, penser sa marque d’hôtel va désormais passer par un travail de définition de sa plateforme culturelle

En adéquation avec la plateforme de marque, la marque hôtel devra s’approprier une mouvance culturelle. Au-delà de la mettre en avant, l’hôtel devra s’engager pour la faire vivre et devenir un agent économique du segment de l’industrie culturelle qu’il soutient.

Les artistes ont une longue histoire avec les hôtels, à nous de la réinventer en passant d’un hébergeur à un acteur de la culture.

Mathieu Sakkas, Managing Director of Corporate Branding